Au début des années 1920, le canton de Fournière, où se situe la future ville de Malartic, est parcouru à son tour par une foule de prospecteurs. Leurs explorations confirment la présence d’une riche veine aurifière appartenant à la faille de Cadillac, un système géologique important du Québec dont mon père était spécialiste.
Rapidement, quatre mines d’or s’installent dans le périmètre restreint de la future municipalité de Malartic. La Canadian Malartic Gold Mines d’abord, suivent les mines Sladen Malartic, East Malartic Mines et Malartic Gold Fields. Presque toutes peuvent être embrassées d’un seul regard, tant elles sont près l’une de l’autre.
James Paul Norrie, un géologue et prospecteur basé à Amos, s’intéresse à ce secteur et détient des concessions et des intérêts financiers dans son exploration et par la suite dans l’exploitation des gisements qui y furent découverts. Bon ami de mon grand-père, Joseph Rupert Norrie, frère du premier et gérant de l’East Malartic Mines, offre à mon aïeul un poste de gérant au magasin général de la mine. En 1938, la famille de mon père quitte donc Amos pour s’établir à proximité des installations souterraines et de surface assurant l’extraction et le traitement du minerai.
J’ai trouvé en archives une photographie montrant la construction du premier chevalement de cette mine, avant que ne se développe le village de Norrie, nommé en hommage au gérant de la mine, ami de mon grand-père. La scène représentée est saisissante. L’avant-plan montre un terrain défriché, une terre vigoureusement remuée et encore jonchée de débris de souches. À l’origine, le territoire de Malartic consiste en des enclaves de muskeg de mousse et de tourbe cernées par la forêt boréale. À l’arrière plan se dresse une bande de conifères encore debout. On voit au centre de l’image une grande structure pyramidale en bois faite de troncs fraichement buchés, ébranchés et écorcés. Y figurent aussi un rudimentaire abri temporaire et un groupe d’hommes munis de pelles et de brouettes penchés sur une excavation. Derrière la scène, les lignes de transport d’électricité requises pour l’exploitation minière sont déjà visibles.
En plus de documenter, la construction du premier chevalement du complexe qu’allait devenir la mine East Malartic, la photographie exprime la dynamique d’implantation dans le territoire typique de l’établissement de mines. Identifiés comme mort terrain dans le jargon minier, la végétation de surface, la terre et l’humus qui assurent la vitalité naturelle du territoire sont arrachés et déracinés au profit du sous-sol. À même les débris de l’ancien écosystème que l’on trouvait sur place, la construction du chevalement ouvre la voie à une racine profonde qui ancrera la vie de la communauté de proximité dans l’activité hautement spéculative de l’exploitation minière. Les souches, racines à nue et troncs épars témoignent déjà du déraciment en cours et de la nouvelle manière d’habiter qui s’installe. Ce premier chevalement qui descendra à terme jusqu’à près d’un kilomètre de profondeur, s’avère la véritable racine pivotante de la ville, dont la population constitue les radicelles, plus que la canopée.
Autour des mines se développent alors des communautés de mineurs et de leurs familles logées dans de petits appartements appartenant à l’époque aux compagnies minières, aussi propriétaires du magasin général et du bureau de poste. Une fois, les premiers établissement regroupés en municipalités, les minières demeurent l’employeur principal de la ville, et des contributeurs financiers essentiels aux infrastructures et aux activités, notamment sportives et culturelles destinées aux populations. L’activité de ces installations industrielles s’étend sur à peine quinze ans, soit beaucoup moins que l’espérance de vie des humains qui s’installent dans leur proximité.
Encore aujourd’hui la ville de Malartic dépend entièrement de l’activité minière. En 2026, l’exploitation de la Canadian Malartic Mines, qui a nécessité la délocalisation complète du quartier sud de la ville et de plus du tiers de sa population, aura épuisé les richesses du sous-sol, laissant derrière un trou de 2 km de long, par 780 mètres de large, par 380 mètres de profond, bordé par des haldes à stériles et un parc à résidus de volume équivalent. L’or ne représente que les miettes prisées de cette activité frénétique, l’impressionnante quantité de résidus, l’ampleur du sacrifice qui lui sera consenti