Extrait d’un compte-rendu de Shame and Prejudice: A Story of Resilience, présentée au Art Museum de l’Université de Toronto en 2017, puis en tournée canadienne par la suite.
Dans le contexte des célébrations entourant le 150e anniversaire du Canada et du 375e de la ville de Montréal, nous assistons à des récupérations du passé et à l’élaboration de récits historiques de tous acabits, érigeant souvent l’hétérogénéité du passé en idéologie. Soutenu par le gouvernement du Canada, Shame and Prejudice: A Story of Resilience de Kent Monkman présentée au Art Museum de l’Université de Toronto témoigne au contraire d’une critique particulièrement réussie de la construction historique et des systèmes qui la supportent, se démarquant par une mise en perspective et une réécriture de l’histoire marquée par une volonté d’auto-détermination. La réalité et le passé des peuples autochtones constituent d’ailleurs un domaine où Histoire et idéologie brouillent souvent les frontières entre imaginaire et vérité, au bénéfice de la promotion d’un conception de la nation canadienne.
Kent Monkman embrasse ici un rôle d’artiste et de commissaire élaborant une exposition autour des mémoires de Miss Chief Eagle Testickle, son alter ego, où en neuf courts chapitres cette dernière effectue une relecture de l’histoire du Canada et de ses conséquences désastreuses pour les peuples autochtones. En appui à ce récit singulier, Monkman regroupe un nombre important d’œuvres, d’objets et d’artefacts provenant de musées Canadiens réputés et de ses propres œuvres, notamment des dioramas, des objets, des estampes et des tableaux, dont certains spécifiquement réalisés pour l’occasion et d’autres empruntés à des collections publiques et privées. Par sa nature, ce projet d’exposition s’inscrit parfaitement dans sa démarche soulignant depuis un moment les conséquences de la colonisation européenne, de l’impact du christianisme et du prosélytisme sur la culture autochtone. Il articule également une présentation de ses œuvres personnelles élaborées au cours des trois dernières années.
Pour l’occasion, douze institutions majeures prêtent des documents d’archives, des objets et des artefacts divers, ainsi que des œuvres d’art en lien avec la réalité autochtone. Sans surprise, on retrouve un tableau de la mort du général Wolfe datant de 1760, attribué à l’atelier de Benjamin West, et un plateau de service reproduisant la même scène déjà utilisé par Monkman dans une exposition à la galerie Leonard et Bina Ellen en 2011. S’ajoutent des gravures et des dessins préparatoires au tableau Les pères de la confédération canadienne de Robert Harris, réalisé vers 1885, mais aujourd’hui disparu. Monkman a aussi réuni des œuvres de Paul Kane et George Catlin, deux peintres ayant largement contribué à l’élaboration de l’imaginaire de l’indien dans la culture canadienne, de même que le manuscrit Wilderness Kingdom : Indian Life in the Rockies (1840-1847) du jésuite Nicolas Point. La présentation d’artefacts et de documents ethnologiques, destinés à témoigner de la richesse de la culture autochtone, exposent ici les préjugés qu’ils véhiculent à son égard, notamment à propos de son actualité et de sa survie. Des objets attestant de la répression exercée sur les peuples autochtones, complète ce récit historique, notamment un fusil d’époque, les menottes utilisées contre Louie Sam ainsi que des fers de jambe dites de Nanaïmo. Par le biais des cartels, l’énumération des institutions prêteuses témoigne du caractère systémique de la construction d’un «indien» imaginaire, niant la réalité des communautés autochtones dans l’histoire du Canada[1].
Extrait d’un article publié dans Espace art actuel, no. 117, aussi disponible sur la plateforme Érudit.
[1] Ont été mises à contribution les collections des Archives des Jésuites au Canada (Montréal), de la Art Gallery of Nova Scotia (Halifax), du Glenbow Museum (Calgary), du Musée d’art du Centre des arts de la Confédération (Charlottetown), Musée canadien de l’histoire (Gatineau), du Musée McCord (Montréal), Musée royal de l’Ontario (Toronto), du Museum of Vancouver, et de trois collections de l’université de Toronto. Outre le Musée McCord, des institutions québécoises auraient aussi pu consentir des prêts appuyant la même analyse, notamment le Musée des religions du monde (Nicolet) et le Musée de la civilisation du Québec (Québec).