Richard Ibghy & Marilou Lemmens. Le pouvoir de l’aliénation

Richard Ibghy et Marilou Lemmens, Each Number Equals One Inhalation and One exhalation, 2016 (Photo : Paul Litherland)

À propos de La vie mise au travail de Richard Ibghy et Marilou Lemmens, Galerie Leonard & Bina Ellen Art Gallery de l’université Concordia, 18 février -16 avril 2016.

Depuis près de dix ans, Marilou Lemmens et Richard Ibghy s’intéressent à l’activité humaine et à son accaparement par la marchandisation et l’économie de marché[1]. Pour la présente exposition, la commissaire Véronique Leblanc a choisi parmi leurs œuvres des installations, des sculptures et des vidéos relevant de considérations liées au travail. En plus d’un commentaire sur la réalité sociale contemporaine, cette approche permet de situer la démarche artistique dans une économie de marché et de saisir la manière de travailler caractéristique des deux artistes.

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Richard Ighby, Marilou Lemmens, Each Number Equals One Inhalation and One exhalation, 2016 (Photo : Paul Litherland)

L’installation Each Number Equals One Inhalation and One exhalation (2016) monopolise la première salle de la galerie. Elle consiste en une série de petites sculptures reprenant des représentations graphiques documentant la productivité humaine depuis le milieu du XIXe siècle. Certaines reproduisent des diagrammes liés à la productivité de travailleurs d’une entreprise dans un contexte donné, Worker Productivity Trends in Periods 1 to 24 of the First Relay Experiment at Hawthorne, d’autres affichent plutôt un aspect général lié aux questions de productivité, High-Order Moments of Technical Efficiency [2]. Tel que représenté dans les diagrammes reproduits par les artistes, le travail apparaît comme une composante divisible et quantifiable d’opérations de fabrication d’un produit, un intrant dans un système économique au même titre que la matière première, les méthodes et les processus de production. Par leur caractère schématique offrant un certain recul, les graphiques s’affichent d’ailleurs comme de puissants vecteur de cette déshumanisation. Le titre de l’installation, Each Number Equals One Inhalation and One exhalation [3], souligne d’ailleurs leur fonction aliénante en rappelant la fragilité de la vie humaine que cache la clarté et l’éloquence de ces synthèses visuelles.

Extrait d’un article publié dans Espace art actuel, no. 114, Visages. Faces et disponible sur la plateforme Érudit, où sont aussi commentées la vidéo Real Failure Needs No Excuses (2012) et l’installation Is there anything left to be done at all? (2014).

[1] Leurs œuvres The Prophets (2013 – ) et The Golden USB (2014 – ) furent présentées lors de BNLMTL 2014, L’avenir (looking forward), respectivement au Musée d’art contemporain de Montréal et à Vox – centre de l’image contemporaine.

[2] Traduites par l’auteur : Tendances dans la productivité des travailleurs au cours des périodes 1 à 24 de la première expérience de relais à Hawthorne et Moments d’ordre supérieur d’efficience technique.

[3] Chaque chiffre correspond à une inspiration et à une expiration, traduction de l’auteur.