L’exposition Désorientations s’articule autour des œuvres On Disappearance (2012) et Transit (2013) de Lauri Astala basé à Helsinki.
Désorientations et repères
Depuis le début de sa carrière, Lauri Astala explore notre rapport à l’espace. À ses débuts, il interrogeait au moyen de la sculpture les conventions scientifiques de représentation du monde, notamment la cartographie. À la suite d’études supérieures à l’Université de Chicago, son travail se tourne plutôt vers la vidéo et l’installation vidéo interactive. Les œuvres retenues ici relèvent de cette forme d’expression.
Dans la première salle, l’œuvre monumentale Transit se fonde sur l’imaginaire futuriste mis en avant par le cinéma. Dans ce long travelling filmé à partir du téléphérique reliant Roosevelt Island à Manhattan, les mouvements de caméra, les cadrages inusités et un important travail de montage, tant visuel que sonore, contribuent à transformer la mégapole américaine en un vaisseau de science-fiction.
L’expérience de la ville de New York devient indissociable d’une fantasmagorie plus prégnante que son identité même. L’effet cinématographique marque davantage que son caractère familier et recon- naissable, mis par ailleurs en vedette dans plus d’un film. La référence filmique agit comme un voile complexifiant l’identification et la perception du lieu, à l’instar de la brume conférant un caractère diffus au paysage dans les vidéos Gamelan (2010) et Rome Dérive II (2006) de l’artiste. L’œuvre révèle ainsi l’apport actif de la culture dans notre appréhension des espaces quotidiens, qu’un recadrage singulier suffit à rendre totalement imaginaires.
La bande sonore composée de bruits mécaniques et électroniques, d’extraits de communications de la NASA et entre répartiteurs de taxis, d’émissions radiophoniques et du son du téléphérique lui-même, crée un environnement participant à l’étrangeté autant qu’à la familiarité du lieu. L’expérience de la ville correspond ainsi à celle d’un terrain de communications, fondant aussi en partie sont identité.
Dans une salle spécialement aménagée reproduisant le lieu initial de tournage, l’œuvre On Disappearance consiste en une installation vidéo assistée par ordinateur intégrant en temps réel le spectateur. Dans une zone précise du lieu d’exposition, une caméra capte les réactions de ce dernier alors que son regard se porte sur la vidéo. L’image saisie est intégrée à même la projection, notamment dans les miroirs visibles de la pièce où se déroule l’action, faisant se confondre l’espace de la fiction et celui, réel, de l’auditoire.
Au début, la voix hors-champ du personnage évoque son éloignement d’un lieu qu’il retrouve après un moment d’absence, alors que les routines participant de son caractère familier ont été interrompues. À cet égard, le cadrage de l’image change progressivement de manière à nous faire adopter peu à peu la perspective du personnage sur les objets qui l’entourent. La narration évoque les gestes répétés et les habitudes contribuant à transformer l’espace en lieu, ainsi que les aller-retour vers cet espace familier qui sert de point de référence. L’œuvre pose la gestualité vécue quotidiennement et la mobilité comme autant de composantes d’une appréhension spatiale identitaire.
Le protagoniste tourne ensuite son regard vers le spectateur et lui adresse directement la parole, modifiant les rôles établis jusque-là. Ce retournement de situation crée un malaise et nous confronte simultanément à la fiction et à l’expérience de notre position et de notre rôle en tant que spectateur. Les propos du personnage qui nous interpelle directement accentuent les décalages dans l’espace et le temps qu’implique notre attention, ainsi que les sentiments d’identification et les affects qui la sous- tendent.
Le dispositif assurant ce dénouement singulier met aussi en avant une coprésence virtuelle liée au recours à la technologie. À ce titre, Lauri Astala explore ici les modalités techniques de proximité créant un pont entre deux espaces de vie distincts. Cette expérience de plus en plus courante, notamment pour les membres de diasporas, affiche tout lieu comme un nœud de communications dynamiques, poreux, à des lieues du territoire que la cartographie cherche à circonscrire. La perception de l’espace et du territoire s’avère aujourd’hui elle aussi modulée par cette complexité.
D’après le texte de l’opuscule publié par Oboro lors de l’exposition Lauri Astala, Désorientations, du 10 septembre au 15 octobre 2016.