Cette exposition souligne l’intérêt de Marie Côté pour la matière, l’espace et le son, liant la céramique à une expérience essentielle de la Terre.
Depuis plus de trente ans, Marie Côté travaille la céramique, notamment la poterie. Elle est toujours demeurée fidèle à ce métier dont les plus anciens vestiges remontent à la préhistoire. L’originalité de sa démarche réside dans sa conviction que la poterie demeure plus complexe qu’il n’y paraît à première vue.
La présente exposition s’articule autour d’un ensemble d’œuvres spécifiquement choisies et réalisées sur près de vingt ans. Elle met de l’avant les procédés de composition liés au décor de la céramique et l’intérêt de l’artiste pour le bol, figure de base de la poterie. À l’instar des principes de symétrie à l’œuvre dans l’ornementation, ses pièces de vaisselle s’interpellent par les pleins et les vides qu’elles définissent et se répondent en écho selon des rapports réciproques de contenant et de contenu. Ces préoccupations ancrent la pratique de Marie Côté dans une exploration des qualités de récipient de la poterie, notamment dans le contexte de collaborations avec des musiciens. Ses récipients se transforment alors en instruments de percussion ou en caisses de résonance, amplifiant les voix de chanteuses de gorge inuites, ou dissimulant un petit haut-parleur rediffusant des sons préenregistrés et soigneusement montés.
Dans d’autres installations, l’artiste reprend des motifs s’inspirant de cartes météorologiques ou de paysages, ancrant ainsi sa démarche dans une expérience de la Terre, associée ici au territoire plutôt qu’à une simple matière, lui reconnaissant ainsi le statut de contenant ultime de vie.
D’après Morandi, 1996
Marie Côté s’inspire ici des tableaux de Giorgio Morandi, un peintre italien du début XXe siècle, dont les natures mortes mettent en scène des objets du quotidien, pots, bouteilles et bols. Ces formes de bois tourné ressemblent à s’y méprendre à des contenants de céramique. La brillance de la matière évoque l’éclat de la porcelaine émaillée* et les nuances de blanc donnent une illusion de profondeur. Par cette astuce formelle, Marie Côté révèle les composantes visuelles d’un récipient, transformant sa contenance en une expérience sensible singulière.
Tapis, 1996
Ce tapis de tuiles de porcelaine de forme stylisée renvoie à la géométrie de l’ornementation islamique au fondement de l’opulence de l’architecture du Moyen-Orient. Souvent interprétée comme une formule, la répétition de motifs, importante dans la décoration de bols ou d’assiettes, est perçue comme superficielle et dénuée de sens. Marie Côté en fait toutefois le principe de composition par lequel s’ordonnent la matière et le propos même de cette œuvre. Elle se joue ainsi des idées reçues et confère au motif décoratif une présence tangible, ainsi qu’une éloquence.
Sans titre, 1996
Ces six vases soulignent le vocabulaire formel propre à la poterie : la silhouette du récipient, les points d’inflexion et l’épaisseur des parois, ainsi que la découpe permettant de dégager un pied. La présentation tête-bêche nous permet d’apprécier l’intérieur des vases, en même temps que le profil et la base lui servant d’assise. S’ajoute l’effet de la glaçure dont l’intensité et la brillance créent une ambiguïté quant à la profondeur réelle des pots. Ce travail de Marie Côté cherche à nous faire voir la poterie en tant qu’expérience sensible complexe, en lien avec le visible et l’espace de manière spécifique, ainsi que sa richesse souvent occultée par sa fonctionnalité en tant que récipient.
Les attrape-vents, 2007-2008
Derrière cinq porte-voix de porcelaine, Marie Côté présente un immense papier embossé obtenu par la réaction du papier lors du séchage d’une argile fluide étendue sur toute sa surface. En effet, lors de la déshydratation, la contraction de la terre crée un réseau de plis ressemblant aux courbes de niveaux d’une carte topographique. À l’intérieur des cônes, l’artiste reprend des motifs similaires s’inspirant de cartes météorologiques, inscrivant ainsi l’effervescence du vent dans du solide.
S’ajoutent la blancheur de la matière évoquant l’onctuosité de la glace sur un gâteau, les marques laissées par le soc de la charrue. Ces allusions aux activités humaines complètent la référence au territoire mise en avant par le recours à la cartographie. Issu d’une sédimentation de fines particules s’accumulant pour la postérité, le matériau porte également en lui l’histoire géologique de la Terre. L’effervescence au cœur des porte-voix illustre ainsi indirectement les perturbations climatiques qui menacent aujourd’hui l’écologie terrestre.
Marie Côté ne cesse ainsi de souligner la richesse polysémique de l’argile, son matériau de prédilection.
Jeux de bols et de voix, 2013 et La ligne d’horizon, 2011
De prime abord, la poterie n’est pas associée à l’univers musical, bien que les experts de la porcelaine chinoise en évaluent les qualités, notamment par la résonance de la matière.
Lors d’un concert, Marie Côté a l’idée de faire résonner les jeux de gorge de chanteuses inuites dans des bols. En prestation, la proximité de leurs bouches vise en effet à favoriser l’écho de leurs voix. À l’été 2011, une résidence à Inukjuak lui permet de tenter l’expérience et d’élargir ses collaborations à des personnes des peuples du Nord, parmi les seules sociétés à ne pas utiliser la poterie. Sur place, elle a enregistré les clapotis de la rivière et de la baie d’Hudson, le chant des oiseaux, les bruits de la vie au village, récoltant ainsi au quotidien des bribes de cet environnement nordique, si singulier. Elle a ainsi documenté un paysage sonore participant de l’expérience du lieu et dont les chanteuses s’inspirent pour leurs jeux de gorge. Intuitivement, elle s’est ainsi nourrie aux mêmes ressources que ces dernières.
En salle, grâce à un important travail de montage d’Olivier Girouard, des haut-parleurs dissimulés dans les bols de porcelaine colorée diffusent les jeux de gorge des inuites, combinés aux bruits de la vie quotidienne et de l’environnement du Nord québécois. En écho, le tournoiement de la matière bleue et blanche des bols évoque le ciel, l’eau, la neige et la glace du Nord.
Cette installation de 4 éléments a été réalisée en collaboration avec Olivier Girouard, concepteur sonore, incluant les voix de Elisabeth Nalukturuk, Nellie Nappatuk, Sarah Naqtai, Phoebe Atagotaaluk-Aculiak, Lysa Kasudluak Iqaluk, Margaret Mina, Annesie Nowkawalk et Ida Oweetaluktuk.
Le renversement II et Le renversement III, 2016
Dessins réalisés directement au mur à la Maison des arts de laval et au Musée régional de Rimouski avec de l’argile de Les Escoumins et de l’ocre de Colombier, deux municipalités de la Haute-Côte-Nord.
D’après le texte d’introduction et les cartels allongés présentés en salle à La Maison des arts de Laval et au Musée régional de Rimouski.
Le catalogue accompagnant l’exposition comprend un essai de Marie Perrault, un texte de Jean-Émile Verdier et un poème de Stéphane D’Amour. Cet ouvrage a été imprimé à 350 exemplaires, incluant 50 numéros hors série intégrant une portion d’un dessin de Marie Côté de 9 mètres de long et intitulé Horizon, réalisé à l’ocre sur papier froissé par le séchage de l’argile crue.
For over thirty years, Marie Côté has worked in ceramics, especially pottery. She has always remained faithful to this mode of expression of which the oldest vestiges go back to prehistory. The originality of her approach lies in her belief that pottery remains more complex than it seems at first glance, even in its simplest form.
This exhibition is articulated around a set of works realized over almost twenty years. It puts forward the composition processes related to the decor of ceramics and the interest of the artist for the bowl, the basic figure of pottery. Like the principles of symmetry at work in ornamentation, her pieces of dishes are challenged by the solids and voids that they define in reciprocal relations of container and content. These concerns anchor Marie Côté’s practice in an exploration of pottery’s receptacle qualities and predispose her to finding an original material to fill her bowls. Thus, in collaborations with musicians, her vases are transformed into percussion instruments or sound boxes, amplifying the voices of Inuit throat singers, or hiding a small speaker replaying prerecorded sounds carefully mixed.
In other installations, the artist uses motifs inspired by weather maps or atmospheric landscapes. These references anchor the artist’s approach in a direct experience of the Earth, associated with the territory and recognizing its primacy as the ultimate container of life.
D’après Morandi (After Morandi), 1996
Marie Côté draws here from paintings by Giorgio Morandi, an Italian painter of the early twentieth century, whose still lifes feature everyday objects, pots, bottles and bowls. These shapes of turned wood look like ceramic containers. The brilliance of the material evokes the brilliance of enamelled porcelain * and the shades of white give an illusion of depth. Through this formal astuce, Marie Côté reveals the visual components of a container, transforming its capacity into a singular sensory experience.
Tapis (Carpet), 1996
Here stylized tile of porcelain refers to the geometry of Islamic ornamentation at the foundation of the opulence of Middle Eastern architecture. Often interpreted as a formula, repetition of motifs, important in the decoration of bowls or plates, is perceived as superficial and meaningless. Marie Côté puts forward the principle of composition by which motifs are arranged as the very purpose of this work. She plays with received ideas about the decoration and gives it a tangible presence and eloquence.
Untitled, 1996
These six vases emphasize the formal vocabulary specific to pottery: the silhouette of the container, the points of inflection and the thickness of the walls, as well as the cutout for clearing a foot. The presentation head-to-tail allows us to appreciate the interior of the vases, along with the profile and the base serving as a seat. Added to this is the effect of the glaze whose intensity and brilliance create an ambiguity as to the actual depth of the pots. This work by Marie Côté seeks to show us pottery as a complex sensory experience, in relation to the visible and the space in a specific way, as well as its richness often obscured by its functionality as a container.
Les attrape-vent (The wind catchers), 2007-2008
Behind five mouthpieces of porcelain, Marie Côté presents a huge embossed paper obtained by the reaction of the paper during the drying of a fluid clay spread over all its surface. Indeed, during dehydration, the contraction of the earth creates a network of folds resembling the contour lines of a topographic map. Inside the cones, the artist takes similar motifs inspired by weather maps, thus marking the effervescence of the wind in solid.
Add to this the whiteness of the material evoking the smoothness of the ice cream on a cake, the marks left by the plow’s share. These allusions to human activities complete the reference to the territory put forward by the use of cartography. Resulting from a sedimentation of fine particles accumulating for posterity, the material also carries with it the geological history of the Earth. The effervescence at the heart of the megaphone thus indirectly illustrates the climatic disturbances that threaten today Earth ecology. Marie Côté continues to emphasize the polysemic richness of clay, her favorite material.
Jeux de bols et de voix (Of Bowls and Voices), 2013 and La ligne d’horizon, (The Skyline), 2011
At first glance, pottery is not associated with the musical universe, although the experts of Chinese porcelain evaluate its qualities, notably by the resonance of the material.
During a concert, Marie Côté has the idea of sounding the throat games of Inuit singers in bowls. In performance, the proximity of their mouths indeed enhance the echo of their voices. In the summer of 2011, a residency in Inukjuak allowed her to experiment and expand her collaborations with Inuit people from the far North, among the only not to use pottery.
On site, she also recorded the lapping of the river and the Hudson Bay, the singing of birds, the sounds of life in the village, collecting everyday bits of this unique Nordic environment. She has thus documented a soundscape participating in the experience of the place and whose singers are inspired by their throat games. Intuitively, she has thus fed on the same resources as the latter. Thanks to Olivier Girouard’s extensive editing work, we get to hear through small speakers concealed in the colorful porcelain bowls the Inuit throat games, combined with the sounds of everyday life and the environment of northern Quebec. In echo, the whirling of the blue and white material of the bowls evokes the sky, the water, the snow and the ice of the North.
This installation of 4 elements was realized in collaboration with Olivier Girouard, sound designer, including the voices of Elisabeth Nalukturuk, Nellie Nappatuk, Sarah Naqtai, Phoebe Atagotaaluk-Aculiak, Lysa Kasudluak Iqaluk, Margaret Mina, Annesie Nowkawalk and Ida Oweetaluktuk. It is accompanied here by a drawing made from clay of Inukjuak reproducing the infinite line of the horizon in this bare northern landscape.
The Reversal II and The Reversal III, 2016
Drawings made directly on the wall at the Maison des Arts de laval and the Regional Museum of Rimouski with clay from Les Escoumins and ocher Colombier, two municipalities of the Haute-Côte-Nord.
From the introductory text and the exhibition cartels presented at the Maison des Arts in Laval and the Musée régional de Rimouski.
The catalog accompanying the exhibition includes an essay by Marie Perrault, a text by Jean-Émile Verdier and a poem by Stéphane D’Amour, in French and in English. This book was printed in 350 copies, including 50 issues incorporating a portion of a 9-meter long Marie Côté drawing entitled Horizon, made in ocher on crumpled paper by the drying of the raw clay.